Les beaux jours arrivent et sont même déjà présents, amenant le soleil et surtout la possibilité d’ouvrir les fenêtres sans risquer de se refroidir outrageusement. Enfin ! Car j’en veux depuis quelques temps à Joseph Fourier, théoricien dès 1822 du principe du double vitrage qui consiste très schématiquement à intercaler entre deux vitres une couche d’air améliorant ainsi l’isolation contre le froid. Mes années de scoutisme m’ont appris le même principe en matière de construction d’habitations en bois où l’idéal consiste à établir un premier périmètre de murs en rondins avant d’en établir un second tout autour mais en espaçant de quelques centimètres afin de créer un espace d’isolation thermique. Je m’en souviendrai le jour où je prendrai mes quartiers au fin fond de l’Alaska en pleine reconversion. Le double vitrage de manière un peu plus moderne isole donc du froid mais aussi du bruit. Encore faut-il s’accorder sur ce que l’on appelle le bruit.

Je suis un grand fan du compositeur John Cage dont le morceau le plus célèbre et aussi le plus controversé, 4’33 », n’est composé que de silence. Fumisterie pour certains, plaisanterie musicale pour d’autres mais surtout à mon sens réflexion philosophique sur ce qu’est la musique car comme l’indiquait John Cage « tout ce que nous faisons est musique ». 4’33 » est donc composé non pas des « notes » que va produire l’artiste, quel que soit son instrument, mais de toute l’atmosphère sonore qui l’entoure.

Ci-dessous William Marx interprétant 4’33 ».

John Cage a également composé des oeuvres un peu moins expérimentales mais minimalistes au piano comme « In a landscape » en 1948.

4’33 » met en lumière l’importance de notre environnement sonore, son influence sur notre vie, nos humeurs et sur la difficulté à définir ce qu’est le « bruit ». Nous est agréable ce qui nous touche et j’avoue pour ma part apprécier beaucoup de sons mécaniques, que d’autres considérent comme du bruit, alors que certaines musiques, certaines mélodies me seront insupportables.

J’écris la fenêtre ouverte : il y a les bruits des quelques voitures qui passent, les conversations au lointain, les échos des cascades des chats du quartier sautant des toits vers les poubelles et aussi nombre de chants d’oiseaux que je finis par reconnaître au fil du temps. À ma fenêtre se déroule la vie de mon quartier.

J’essaie lors des ateliers portant sur le son de travailler au maximum sur cette matière sonore qui nous entoure préférant de loin produire une mélodie à partir d’un son glané dans la rue, plutôt qu’à partir d’un son de synthétiseur. Récemment avec une classe d’élèves de CM2, je profitais de l’écho d’une salle de sport pour les sensibiliser au fait que les sons prenaient de l’amplitude et « mouraient » tout doucement au travers de la réverbération. Nous avons écouté divers sons, les avons enregistré puis retravailler sous Audacity pour le découpage et les effets sonores et LMMS pour la composition.

Transformer son environnement sonore en matière musicale fait écho à la musique concrète dont un exemple célèbre se trouve dans un extrait des Tontons Flingueurs lorsque Lino Ventura (Fernand Naudin) rend visite à Claude Rich (Antoine Delafoy), fiancé officiel de sa nièce Patricia et compositeur injustement méconnu.

Les instruments utilisés par Antoine Delafoy n’ont rien de classique, pourraient même être considérés comme du bruit et pourtant constituent de la matière musicale. J’avais mené une petite expérience il y a quelques années avec des élèves de CP où nous avions produit un petit morceau dont tous les sons avaient été enregistrés par les enfants. Le résultat très moderne, influencé par le courant breakbeat, est pourtant le fruit des sons enregistrés dans les courtes vidéos du clip mais aussi de la chasse d’eau, de la chaudière, des objets de la classe, des voitures passant non loin de là, de bruits de conversation… La mélodie principale a été produite avec un jouet apporté par un enfant et ré-enregistré dans une pièce à l’écho particulièrement fascinant.

Sensibiliser à l’atmosphère sonore, aux possibilités qu’elle nous offre est primordial et peut permettre de développer des environnements sonores apaisés, mieux orchestrés, de trouver le juste milieu entre le calme absolu et le chaos le plus complet. Cette éducation était déjà mentionnée en 1977 par R. Murray Schafer, compositeur et pédagogue américain, ayant théorisé le concept de paysage sonore.

« S’il y a dans le monde d’aujourd’hui, un problème de pollution sonore, c’est certainement en partie, et peut-être en grande partie, parce qu’on n’a pas su donner de la musique un enseignement complet, qui inclut une prise de conscience, dans sa totalité, de l’univers sonore où, depuis 1913, n’existe plus de distinction entre le musical et le non-musical. » (R. Murray Schafer, Le paysage sonore, le monde comme musique, 1977)

1913 ? R. Murray Schafer fait référence à la publication cette année-là du manifeste du compositeur et peintre italien, Luigi Russolo, « L’Art des bruits », qui a largement influencé par la suite les musiques concrète, bruitiste et électronique.

Sans tomber dans des exercices trop complexes, on peut lors d’activités avec des enfants s’interroger sur les sons, les enregistrer, les transformer, fabriquer ses propres instruments que ce soit en bricolant ou via des outils numériques. Il n’y a pas d’âge pour cela comme le prouve la vidéo ci-dessus.

Mais revenons au double vitrage et à mon humeur envers Joseph Fourier. Si je suis parfaitement d’accord avec la notion d’isolation thermique, je le suis beaucoup moins avec celle d’isolation sonore qui nous enferme dans une bulle, nous éloigne de la vie extérieure, nous laissant pour seuls sons que ceux que nous produisons nous-même que ce soit par nos activités ou pour couvrir ceux des voisins. Bizarre invention en effet que cette vitre qui nous prive du chant des oiseaux mais pas de la télévision du voisin… Sans faire de la psychologie de comptoir, je me dis que le double vitrage a peut-être sa responsabilité dans le manque de sensibilisation à l’environnement sonore en nous forçant à créer une bulle artificielle.

Bref, Joseph, si tu me lis depuis l’au-delà, pense à moi… Merci !

(Je ne saurais terminer cet article sans vous proposer une interprétation subtile de 4’33 » par Nola. Bonne écoute !)

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